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Publié depuis Overblog

Publié le par Jacques MARIE

Nous cheminons, harassés sous les feux croisés du ciel et de la terre. La gorge consumée par l’air surchauffé que j’avale avec peine, je pose mécaniquement mes pas dans ceux de mon guide. Je ne vois rien du paysage d’apocalypse que nous traversons. Le soleil s’est figé au zénith. À chaque instant, j’appréhende une résurgence de lave bondissante qui nous effacera dans un éclat de lumière pourpre et or. Mes yeux se brouillent de luminescences fulgurantes. Mes tempes battent douloureusement.

Traversant des collines en noir et roux, la piste se déroule au fond de larges rigoles sculptées par des torrents de magma figé, encombrées de scories sombres. Des plaques de basalte se chevauchent, prêtes à crouler sur notre passage. Au-dessus de nos têtes, le ciel s’enflamme, céruléen.

De temps à autre, mon guide s’assure d’un œil inquiet que je le suis toujours. Cet homme me fascine. Long, d’une maigreur effrayante, il roule, tend et détend ses muscles en fuseau d'une marche régulière et assurée. Aux pieds, de curieuses sandales de cuir noué. Ce sont celles, traditionnelles, que les nomades chaussent pour les interminables courses dans ce désert de scories. Coiffé d’un turban dont le pan bat la nuque, il tient à bout de bras un antique fusil d’assaut soviétique AK 47. Pourquoi a-t-il emporté cette arme ? Ses jambes s’entravent d’une fouta, barrée sur le ventre d’une ceinture de toile qui emprisonne un long couteau.

À mi-chemin, entre le Ghoubet El Kharab et le lac Assal, surgit de la mer de cendres, frangée de poussières salées, l’Ardou-Kobar le dernier-né des volcans djiboutiens.

Chaudron de sorcière, sa gueule béante a déversé en 1978 une immensité incandescente. Depuis, lézardée par une gerçure à vif qui court jusqu’en Éthiopie, la soupe charbonneuse poudrée de cristaux salins s’est figée. Plus loin, des ruptures précipitent lentement des pans de falaises nouvelles dans la fosse océane à naître. Ici, l’Afrique accouche la mer érythréenne. C’est à l’endroit de la naissance de l’humanité que se recrée sous nos yeux la genèse du monde. Noire et blanche.

Mon guide accroupi sur le sol aux reflets métalliques tend la main vers l'une des innombrables boules de pierres brunes, des bombes volcaniques, qui le parsèment. L'attrapant, il la mire au soleil, comme pour en deviner le mystère. Abattant brusquement le bras, il brise la géode sur la nappe de basalte.

Éclatée, cernée d’une croûte rouillée, la sphère libère dans les rayons du soleil une myriade d’étoiles laiteuses. Un instant, je me surprends à tenter d’y lire les augures minéraux. Mais sans autres prétentions que de naître à la lumière, la pierre raconte sa longue gestation dans les entrailles de la Terre, les formidables pressions et les chaleurs qui l’ont forgé. Pauvre diamant !

...il brise la géode sur la nappe de basalte. Pauvre diamant !

...il brise la géode sur la nappe de basalte. Pauvre diamant !

Lexique

 

Fouta : longue jupe, portée par les hommes Issas et Afars. La façon de la nouer identifie la tribu.

Ghoubet El Kharab : en arabe, la « Baie en ruine » ou « Baie effondrée ». Les Djiboutiens l’appellent le « Gouffre des démons ». C’est une immense caldeira effondrée et envahie par la Mer Rouge.

Lac Assal : « Lumineux, éclat, lumière ». Le lac Assal doit son nom à sa banquise de sel qui étincelle au soleil.

Ardou-Kobar :  « Le lieu où l’on descend en courant ». C’est aussi le nom du dernier né des volcans djiboutiens.

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